Comme à l'habitude, une bande d'abrutis qu'il avait tenté d'approché avec calme pour mieux les massacrer d'un revers de sa large main. Et comme d'habitude, il avait fini sous une forme humaine. Sous le regard concupiscent des gaillards. Ce qui n'était pas prévu, était que les lourdauds aient choisi d'embarquer la (fausse) jolie fille dans une auberge, pour tenter de lui extraire son histoire... Et accessoirement l'emballer dans une réjouissante romance à plusieurs. Qui se solderait d'une manière tragique, bien qu'ils aient complètement oblitérer cette part sombre du personnage. Mais la question ne se posait pas encore.

J'Urum se retrouvait donc sous la forme d'une femme. Dans une taverne, où jouait un joyeux groupe de ménestrels, où les choppes de bière s'entrechoquaient et où plusieurs hommes attablés avec lui/elle faisaient peser sur sa personne d'idiots regards se voulant compréhensif. L'un héla un serveur pour leur commander de l'alcool... Et une "douce" boisson pour leur "délicate" compagne visiblement sur les nerfs. Cela se voyait peut-être au fait qu'elle/il croquait littéralement ses ongles (très résistants, cela dit en passant). Devant se constat, il/elle attaquait ceux de son voisin, qui, par contre, disparaissaient rapidement. Au point qu'elle parvint à lui croquer un doigt... Avant de pousser un petit cri devant le sang qui perla.

L'autre voisin posa une main protectrice sur son épaule tout juste vêtue (se ramener avec une femme nue n'étant pas recommandé, il lui avait passé une très très grande chemise à carreaux rouges et verts) en lui posant une quelconque question qu'il/elle ne perçut même pas. Focalisé/e sur l'affreuse sensation physique. De trop.

HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA ! Hurla-t-elle soudainement de toute la force de ses poumons.

Cela eut pour conséquence de faire sursauter la moitié de la salle, un musicien en venant à casser l'une des cordes de son instrument, et plus d'une dizaine de choppes se fissura... Avant que des ruisseaux d'alcool ne coulent d'entre des doigts raidis.

Siz' n'aimait vraiment pas les tavernes. On peut dire qu'elle ne s'y arrêtait que par nécessité, encore fallait-il qu'elle en ait les moyens. Sur ce coup-là, elle n'était pas certaine d'avoir ce qu'il faut pour payer son assiette mais elle avait si faim qu'elle s'était bien gardée de poser la question.
Tout à fait entre nous, le ragoût était passable et le pain avait un aspect proche de la pierre, même trempé dans le jus de chaussette qui servait de sauce. Mais c'était comestible et quand on a l'estomac dans les talons, on est peu regardant sur la qualité.

Elle sursauta violemment lorsque le cri retentit. Ce cri-là, c'était pas de la gnognotte. Celle qui l'avait poussé avait un bel avenir comme alarme vivante si d'aventure quelqu'un cherchait un anti-larcin. Évidemment, quand ça cri, on lève le nez. Sauf que non, pas Siz' qui replongea le sien dans sa gamelle une fois la surprise passée. Elle ne voulait pas savoir. Dans les tavernes, ça dégénérait toujours à la vitesse d'un crapoteux sifflant des insectes et le résultat était souvent aussi boueux que les marécages de ladite bestiole. Déjà qu'elle s'était éclaboussée avec sa pitance, Siz' ne tenait pas servir de plat de résistance à des grosses brutes en mal de bagarres.

Elle attrapa son verre, s'humecta le gosier, se tassa dans son coin de table du coin de la salle et entreprit de finir sa becquetance. Mais la curiosité n'est jamais très loin de celle qui a quitté son village pour cause d'inactivité notoire et elle ne put s'empêcher de jeter des coups d'œils furtifs par-dessus son écuelle. Eh ben c'était le bazar, j'avais prévenu. Des soulards s’agglutinaient autour du bar pour réclamer double dose de remplacement, les fragments de chopes dans les mains comme preuve (Siz' en vit un casser la sienne après l'avoir vidé d'un trait pour en faire autant), les artistes râlaient contre les moqueurs qui se bidonnaient en désignant la corde rompue qui ondulait sous l'instrument, et le taulier... se planquait sous son comptoir en attendant ses gros bras de fils qui ne tarderaient pas à palier à sa silhouette maigrichonne.
Quand à la possible source de tout ce tapage... Bon, Siz', t'es pas Mère Téraiza alors ta compassion, tu vas te la mettre où je pense. Ah tu t'en fiches, tu joues les rebelles ? Soit, fais comme tu veux. Mais ne viens pas pleurnicher si tu ressembles à une serpillère ayant vécu la bouse de gramoche quand tu sortiras d'ici les pieds devant.
Oui, Siz' s'était levée et approchait lentement du petit groupe, louvoyant entre les cuisses de piafs qui fendaient l'air en pseudo bataille-de-bouffe et les petites frappes en mal d'actions qui s'amassaient timidement autour de la joyeuse bande de drilles.

Alors que le troll/donzelle tremblait encore, que deux de ses gaillards de compagnons se tenaient les oreilles de douleur, un autre restait figé à la regarder avec de grands yeux tandis que le dernier faisait des mouvements de mains paniqués à l'attention de l'attroupement peu aimable qui se formait près de leur table.

Pas nous... Lui a rien fait... Comprend pas pourquoi... Pas not' faute... Lui faire payer... Elle a pas de sous... Bégayait-il, solitaire, à l'attention de l'assistance, ses chausses s'humidifiant bientôt devant les brutes patibulaires qui s'avançaient au premier rang, en faisant craquer leurs phalanges massives.
Pas toucher, pas toucher, pas toucheeeeer... ! Sanglotait en arrière-plan la fausse pucelle, recroquevillé/e sur sa banquette.

Le gars abruti par le son - ça se voyait à la salive qui gouttait épiquement à la commissure de ses lèvres - trouva malin de se pencher vers elle/lui, en pointant juste un doigt dans sa direction, avec de grand yeux ébahis. Au fur et à mesure de son approche, les sanglots trollesques redoublèrent d'intensité...

Puis il y eut contact entre un doigt sale et une délicate et douce épaule.

PAS TOUCHEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEER ! Hurla à nouveau le troll métamorphosé en un nouvel éclat terrifié, tout en saisissant son agresseur par la main... Et de l'envoyer, dans un puissant arc de cercle, voler dans la foule.

Le gars traversa sans un son les rangées d'ivrognes, les percutant tour à tour, avant de finir son vol dans une table. Des choppes rescapées périrent. Un lourd silence s'en suivit, seulement perturbé par les sanglots du troll/donzelle recroquevillé/e sous la table.

Que... ? C'estquoiça ?
Siz' s'était figée. C'était pas commun de voir un truc pareil ! Le type avait roulé comme une boule sur des quilles et plusieurs "damoiseaux" en avait fait les frais. C'était ce qui s'appelait "gérer la situation". Mais d'où une fille aussi menue et mijaurée pouvait-elle tenir la force d'un gramoche en cavale ? Même dans les livres de contes, ça n'existe pas, ce genre de chose ! La magicienne écarquilla les yeux, indécise. Fallait-il qu'elle approche... ou qu'elle parte en courant, le plus loin possible de cette improbable créature ?
Quelqu'un, quelque part, émit un sifflement d'admiration qui fendit le silence entrecoupé de sanglots. Des mâchoires étonnées se refermèrent, des appétits se réveillèrent et des corps se déplièrent, convergeant soit vers la donzelle, soit vers le pauvre ère ramassé sur lui-même entre la table fendue et les bris des chopes. Du côté de la demoiselle (qui intriguait tant Sisilia qu'elle ne parvenait pas à en détourner le regard), se tenait un gaillard massif, solidement campé sur ses deux pieds. Il l'avait approché doucement, comme un félin de sa proie. Mais son visage affichait plus de curiosité déroutée que de réelle hostilité. Il se pencha sur elle, arqua un gros sourcil broussailleux et décréta :
« Sorcière ! Brûlons la sorcière ! »
Se disant, il se redressa et pointa du doigt la jeune femme.
Siz' eut un hoquet de stupeur mais pas assez de compassion pour les rustres dans son genre pour le mettre en garde. Son geste resta figée dans l'air tendit qu'une petite main se refermait sur le doigt tendu. Mais quel abruti, songea-t-elle avant qu'il n'accomplisse un épatant double salto suivi d'une vrille en direction d'une fenêtre.

Sauf que l'affirmation de l'humain avait quelque peu tiré J'Urum de sa terreur. Du fait qu'il avait contredit une vérité ESSENTIELLE : c'était la faute du mage. Pas lui. Il était pas sorcier, mais victime. Et rien de telle qu'une puissance vocale troll pour le clamer. Aussi se dressant subitement, la fausse pucelle ouvrit la bouche... Et redevint subitement un troll. L’auditoire fut consterné.

FAUTE MAGE !

Premier rang de brute jeté à terre - par le brusque courant d'air... Et la faiblesse de leurs jambes causées par la peur - deuxième rand évanoui - donc s'effondre aussi - et troisième juste décoiffé. Avec une bonne haleine troll dans le nez. J'Urum s'avança, piétina les sonnés par terre, et attrapa le premier venu pour s'adresser à lui très clairement.

Moi pas sorcier.

Le gars fit un grand oui de la tête. Il tenait à cette dernière. Le troll sourit, le balança à travers la salle, avant d'attraper un autre gus et de lui engloutir proprement le crâne, et de croquer ce dernier comme un bonbon au cœur fondant. Ça se fête, que de se faire comprendre. Ce fut au tour des "brutes" de hurler d'horreur.

HRP:

Un début de débandade se forma, tandis que les brutes préféraient sauver leur vie plutôt que de faire office de casse-croûte au troll. La plupart parvinrent à quitter les lieux, si ce n'est un retardataire qui se prit un demi corps d'homme dans les jambes : frustré par l'armure coincée qui gênait sa consommation, le troll avait lancé le reste de cadavre. Le gaillard fut retenu assez longtemps pour que J'Urum lui tombe - littéralement - dessus, après avoir bondit d'une table, lui broyant la cage thoracique. Le troll gloussa - oui, un troll peut glousser, bien sûr cela ne donne pas un résultat semblable au son produit par une simple dinde - avant de tremper un doigt dans un liquide sanglant, pour le lécher tout son content.

Pendant cette dégustation, son attention fut néanmoins attirée par deux humanoïdes restés en plan au milieu de la salle désertée. Penchant la tête, il les observa, ne percevant aucune hostilité à son encontre. Arrachant un bras au mort sur lequel il était assis, il le croqua - pas de métal, juste un peu de cuir... Pouvait toujours se coincer entre deux canines mais tant pis -tranquillement. Il les regardait. Elles semblaient le regarder de la même manière. L'absence de réaction - fuite ou attaque - le laissant légèrement désemparé. D'autant qu'il avait déjà de quoi grignoter, même si ces humanoïdes avaient l'air plus tendre.

Quoi vous attendre ? questionna-t-il finalement.